Un petit maillot bleu en laine, une petite fontaine où nous barbotions avec délices, une marche de plusieurs kilomètres sous un soleil parfois ardent, un lac à l’eau encore fraîche dans lequel, les pieds caressés par les algues nous nous prenions pour des nymphes, le pique nique dans le grand sac en tissu, les boissons un peu chaudes, la promesse d’un glaçon à l’orange, une journée entière de détente, maman savait nous amuser. Pour le trajet du retour, nous prenions le tram non loin de la Butte du Lion que nous regagnions à pied, heureuses d’être toutes les trois. Maman nous racontait des histoires, nous savions rire de n’importe quoi. Elle nous montrait les fleurs qui bordaient la route, les oiseaux, les arbres, elle avait toujours quelque chose à raconter sur tout ce que nous découvrions. Nous avions notre propre langage composé de syllabes inventées aux accents quelque peu slaves ; ce qui comptait, c’était l’intonation des phrases ainsi composées, et nous nous comprenions. De nos fous rires, certains se disaient que nous venions de raconter une bonne blague, ils ne savaient pas que nous nous moquions, gentiment, de les voir si perplexes car parfois, ils nous prenaient pour des étrangères, et à l’époque, ce n’était pas si courant.
A quel moment est-ce que tout s’est gâté ? Qu’est-ce qui a fait qu’elle ait tant changé ? Que savons-nous de ses souffrances, de ses amours déçues, de son enfance, des tourments qui furent siens ? Qu’est-ce qui nous donnerait le droit de juger ? N’y a-t-il pas eu un peu de bonheur dans tous mes souvenirs de malheurs ? Rien qui puisse faire qu’à présent, j’aie envie de tout pardonner ? Elle nous a poussées vers la vie d’adulte sans trop de précautions mais finalement, le résultat n’est-il pas raisonnable ? Combien de chansonnettes ne résonnent-elles pas encore dans ma tête, que de proverbes me traversent l’esprit pour chaque situation, que de mots choisis émaillent mes conversations ! Et cet amour de la lecture, cette curiosité des choses, cette culture, c’est à elle que nous la devons ! Unique et irremplaçable, aimée et détestée, comme toutes les mamans, selon qu’elle accorde ou refuse, soupçonneuse et méfiante, mais sans doute aimante. Qu’est-ce qui fait que j’aie oublié qui elle était et que j’aie pu croire, que telle une étrangère, elle ne se souciait pas de mon destin ? Comment ai-je pu, pendant toutes ces années, croire que je ne comptais pas ? Et maintenant, après cette deuxième naissance, j’ai peur de ne pas en profiter assez longtemps, puisque heureusement, elle est encore là, pour lui prouver que j’ai compris !
02/08/2003