Il se tenait là, debout, immobile, sur le rocher le plus bas, le regard perdu dans les vagues salées de son cœur brisé. Tout de blanc vêtu, il rayonnait comme un ange sous le soleil brûlant de midi. Parfois il faisait un pas en avant comme pour écouter le murmure de l'écume, puis il reculait comme pour réfléchir encore ou pour se souvenir une dernière fois des moments merveilleux qu'ils avaient passés ensemble. Un amour de vacances? Lui, il y avait cru. Mais Marco était reparti suivant à a lettre le planning qu'il s'était fixé, sans une hésitation, sans un regard en arrière. C'est cet instant qui avait été le plus dur lorsqu'à l'aéroport il l'avait vu s'éloigner vers la porte d'embarquement. Il avait attendu une promesse, une adresse, un numéro de téléphone, quelque chose, mais rien, Marco était parti, il ne le reverrait plus.
Il m'en avait parlé, de Marco, mais aussi de la jeune fille qui l'avait précédé. Il m'avait raconté comment des humains sans scrupules lui avaient dérobé ses toiles pour les revendre à leur compte. Il était si jeune, un artiste noyé dans notre monde matérialiste, il ne parvenait pas à se trouver. Issu d'une famille aux traditions séculaires ancrée au sein d'un village vivant au rythme d'un autre âge, il avait été jugé par les siens et banni. En exil permanent, à la recherche du bonheur éternel, il ne parvenait pas à se fixer. Je n'avais pas voulu comprendre qu'il était aussi loin de la réalité ou alors mon insouciance de touriste blasée n'avait pas voulu entendre son appel au secours. Maintenant, de la terrasse où j'étais installée, savourant un délicieux jus d'oranges pressées, je m'inquiétais enfin de cette âme éperdue que je n'avais pas sauvée. Je le fixais, essayant de capter ses intentions et de le retenir par la pensée. J'essayai la transmission de pensée: "Remonte! Remonte vers la vie! Ne jette pas tes clés!" Au bout de sa main droite je les voyais étinceler à chaque balancement de son bras et je me mis à prier pour qu'il les tienne fermement comme un ultime rempart contre l'éternité.
La serveuse passa devant moi pour ramasser les verres vides de la table voisine et fit écran quelques longues secondes. Je me dressai d'un bond faisant tanguer la petite table blanche. Mon verre se brisa, le jus se répandit sur le coussin de la chaise en face de moi. Je me confondis en excuses tout en cherchant des yeux la forme blanche debout sur le rocher de l'autre côté de la petite baie. Je ne le voyais plus. Les vagues de la marée montante s'écrasant sur le bas de la petite colline couvraient de leurs rouleaux incessants tout ce qui aurait pu y tomber. Je ne savais que faire ni qui alerter. Je ne connaissais rien de lui, seulement ce qu'il avait bien voulu me dire. Gentiment je l'avais écouté. Il me faisait un peu penser à un de mes fils qui avait connu lui aussi une période de vide total. Lui, j'avais pu l'en tirer. Et puis à force de me concentrer je le vis couché sur son rocher tout au bord du précipice et je me sentis soulagée. Le bruit des chaises autour de moi me rappela que l'heure était venue d'embarquer dans le car qui devait nous conduire à l'aéroport pour rentre au pays. Je dus donc me détacher de mon observation inquiète. J'avais l'impression de l'abandonner avec l'idée insensée qu'il le savait, qu'il m'en voulait pour cela, qu'il aurait espéré une aide quelconque pour se décider. J'étais impuissante, surtout convaincue de mon inutilité. Ce souvenir me pèse quand je repense à ces vacances. Je forme des vœux pour qu'il se soit levé, qu'il ait été saisi par la beauté de la nature qui avait accueilli ses réflexions et ses doutes, et qu'il ait décidé de continuer sa route.
Peut-être aujourd'hui a-t-il trouvé un peu de réconfort et de bonheur auprès d'un être aimé. Je lui avais dit que l'essentiel n'était pas de trouver un amour éternel mais bien de vivre des instants privilégiés, même courts, et de toujours regarder vers l'avenir pour en vivre d'autres encore, plus ou moins intenses, plus ou moins longs mais empreints de vérité. je l'ai rassuré sur son choix d'un partenaire car ce n'est pas tant le sexe qui compte que l'amour sincère et que le diable emporte tous ceux qui prônent le contraire! Je suppose qu'il avait compris…, je l'espère…, j'espère que cet ange n'a pas sauté…